Wednesday, July 19, 2006


Qu'est-ce que le Swing ?
Cette notion si vague et si abondamment utilisée dans les commentaires sur le Jazz mérite qu' on tente de lui donner une définition personnelle.
Pour moi, le Swing , c'est l' alliance du plaisir des formes et de la jubilation rythmique.
Miles Davis a dit : "Il ne sert à rien de jouer beaucoup de notes, il suffit de jouer les plus belles." Miles a d' ailleurs démontré tout au long de sa vie, dans sa musique, la vérité de cette phrase.
En effet, un musicien qui swingue est celui qui sait jouer la bonne note au bon moment, celle qui nous fait hérisser les poils et battre le rythme toujours plus fort.
Dans le Jazz, le musicien se doit avant tout de sentir le rythme et surtout de le faire ressentir profondément à l' auditeur, de l' entrainer dans la jouissance rythmique, qui nous renvoie peut-être aux moments pré-nataux où l' on était bercé par le rythme cardiaque de notre mère.

L' un des plus parfaits exemples de swing est sans doute ce fameux solo de Paul Gonsalves de 27 chorus avec l' orchestre de Duke Ellington au festival de Newport 1956 sur "Diminuendo In Blue And Crescendo In Blue".
Les formes jouées sont non seulement d' une parfaite élégance mais ce qui déclenche notre enthousiasme et celle du public de Newport, c'est la parfaite alliance de son solo avec le rythme, cet envol formel qui se conjugue avec une escalade dans la possession par le rythme.
L' écoute du Jazz est ainsi bien souvent une danse intellectuelle. Une expression qui fût aussi utilisée pour qualifier le jeu de Lester Young, autre grand pourvoyeur de swing.

Jack Kerouac dans "Sur la route" a décrit magnifiquement cette extase propre au Jazz dans une scène dans un club où un saxophoniste attrape le "it" portant la foule dans un véritable état de transe.
Le Jazz dans cette dualité entre création formelle et transe rythmique semble être la musique qui a su le mieux répondre à l' art idéal que Nietzche décrit dans "La Naissance de la Tragédie enfantée par l' esprit de la musique" (le sous-titre ne nous est pas indifférent !).
L' Art se doit ainsi d' allier l' apollinien et le dionysiaque.
Apollon est le dieu des formes, de "la belle apparence du monde intérieur de l' imagination".
Apollon, dont la racine du nom est le "brillant", est la lumière qui règne sur le monde des formes et du rêve.
Dionysos est le dieu de l' ivresse.
Chez les grecs, Apollon est le dieu des arts plastiques alors que Dionysos est le dieu des arts non plastiques.
Mais ces deux impulsions différentes sont en perpétuel dialogue dans l' art grec pour aboutir à "des productions toujours nouvelles et de plus en plus vigoureuses" et à la naissance de la tragèdie.
Dans les premières pages du livre, Nietzche décrit ainsi l' ivresse dionysiaque :

" Transformez en tableau l' "Hymne à la joie" de Beethoven et ne laissez pas votre imagination en reste lorsque les millions d' êtres se prosternent en frémissant dans la poussière : c'est ainsi qu' il est possible d' approcher le dionysiaque. Maintenant, l' esclave est un homme libre, maintenant se brisent toutes les barrières hostiles et rigides que la nécessité, l' arbitraire et la "mode insolente" ont mises entre les hommes. Maintenant, dans cet évangile de l' harmonie universelle, non seulement chacun se sent uni, réconcilié, confondu avec son prochain, mais il fait un avec tous, comme si le voile de Maya s' était déchiré et qu' il n' en flottait plus que des lambeaux devant le mystère de l' Un originaire. Par le chant et la danse, l' homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure : il a désappris de marcher et de parler et, dansant, il est sur le point de s' envoler dans les airs. Ses gestes disent son ensorcellement. De même que les animaux maintenant parlent et la terre donne lait et miel, de même résonne en lui quelque chose de surnaturel : il se sent dieu, il circule lui-même extasié, soulevé, ainsi qu' il a vu dans ses rêves marcher les dieux. L' homme n' est plus artiste, il est devenu oeuvre d' art : ce qui se révèle ici dans le tressaillement de l' ivresse, c'est, en vue de la suprême volupté et de l' apaisement de l' Un originaire, la puissance artiste de la nature toute entière."

Il ne reste plus qu' à s' incliner devant la beauté ...

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