Sunday, September 24, 2006



More Mingus !

Après l' excellent "Blues & Roots", j' aimerai parler aujourd' hui d' un album qui présente une autre facette de la musique de Charles Mingus.
"Charles Mingus presents Charles Mingus" est un disque enregistré en quartet, une formation plus réduite où l' improvisation tient une place encore plus importante. Le quartet est composé d' Eric Dolphy, sax alto et clarinette basse, Ted Curson, trompette, Mingus, contrebasse et Dannie Richmond, batterie.


Un quartet fantastique avec des musiciens aventureux qui multiplient les prises de risque.
Mingus adopte ici la formule en vogue du quartet d' Ornette Coleman, le quartet sans piano.
Ce disque est peut-être le plus free de toute l' oeuvre de Mingus. Quatre titres "Folks Forms I", "Original Faubus Fables", "What Love?", "All the Things You Could Be by Now if Sigmund Freud's Wife Was Your Mother" et autant de classiques bénéficiant d' interprétations généreuses jusqu' à 15 minutes pour "What Love?".
La grande curiosité du disque est bien sûr la version vocale censurée par Columbia quelques mois plus tôt des "Fables of Faubus". Les paroles dénoncent la politique du gouverneur Faubus et de ses acolytes Rockfeller et le président Eisenhower. En voici la traduction française :

"Oh Seigneur, ne les laisse pas nous abbattre/ Oh Seigneur, ne les laisse pas nous poignarder/ Oh Seigneur, ne les laisse pas nous rouler dans le goudron et les plumes/ Oh Seigneur, plus de croix gammées!/ Oh Seigneur, plus de Ku Klux Klan!/ - Cite-moi quelqu' un de ridicule?/ -Le Gouverneur Faubus/ - Pourquoi est-il malade et ridicule?/ - Il s' oppose à l' intégration scolaire [des noirs]/ - Alors, c'est un dingue/ A Bas les nazis, les fascistes, ceux qui se croient supérieurs/ A Bas le Ku Klux Klan/ - Cite-m' en quelques-uns qui sont ridicules/ - Faubus, Rockfeller, Eisenhower/ - Pourquoi sont-ils à ce point malades et ridicules?/ - Deux, quatre, six, huit. Ils vous lavent le cerveau et vous enseignent la haine."


Ces attaques politiques sont proférées avec beaucoup d' humour par Mingus et Richmond. Le titre est ainsi un mélange curieux de colère et de jubilation. Il est aussi remarquable par la complexité de sa strucure musicale et par ses fréquents rebondissements, de phrases apaisées en élans brusques et résolus.
Pour une analyse plus approfondie de ces "Fables of Faubus", je vous conseille la lecture un peu austère mais passionnante de "L' Amérique de Mingus. Musique et politique : les Fables of Faubus de Charles Mingus" de Didier Levallet et Denis-Constant Martin.
Livre disponible sur : http://www.decitre.fr/livres/L-Amerique-de-Mingus.aspx/9782867441912

On peut retrouver cet album mythique dans le remarquable coffret Mosaic malheureusement épuisé "The Complete Candid Recordings" où l' on trouve des titres inédits issues de la même session, notamment une superbe interprétation de "Stormy Weather" par Eric Dolphy.
Les autres sessions Candid de Mingus toutes enregistrées en 1960 sont aussi trés intéressantes notamment grâce à la présence du génial Eric Dolphy. Deux géants du Jazz classique Roy Eldridge et Jo Jones participent à la dernière session de ce coffret, une session qui apparaîtera dans le disque "Newport Rebels".
Pour lire une excellente interview et (re)découvrir l' anti-conformisme rageur de Charles Mingus, allez visiter cette page du site de Jazz Magazine :
http://www.jazzmagazine.com/Interviews/Dhier/mingus/Mingusitv64.htm
On trouve aussi dans le même site de notre cher magazine de Jazz, une fine analyse des concerts parisiens de 1964 par Jean-Louis Comolli :
http://www.jazzmagazine.com/Interviews/Dhier/mingus/MingusCR64.htm
On peut trouver depuis peu un superbe double CD "The Great Concert of Charles Mingus" qui documente la soirèe du 19 juillet 1964. On y trouve notamment une fantastique version de "Fables of Faubus" de plus de vingt minutes !
Comolli note, dans son article, l' enthousiasme du public pour la musique pourtant exigente de Mingus. Rappelons que l' accueil du public français fût beaucoup plus mitigé quelques années plus tôt en 1960 lors du festival d' Antibes. Dans l' enregistrement de ce concert d' Antibes, on peut même entendre quelques sifflets pendant les moments les plus free des solos d' Eric Dolphy.

Extrait Audio : "Prayer For Passive Resistance"
from
"Mingus at Antibes 1960"
Eric Dolphy, as ; Booker Ervin, ts ; Ted Curson, tp
Charles Mingus, b ; Dannie Richmond, dr

Wednesday, September 06, 2006



Charles Mingus : Blues & Roots
Ce disque est pour moi le plus grand disque de Mingus, en tout cas le plus jubilatoire et le plus soulful. Magnifique hommage aux racines de la Great Black Music, le disque dégage une énergie folle et un vent de liberté qui annonce les tempêtes du Free.
Mingus, l' homme en colère, a rarement été aussi percutant bien aidé par de merveilleux accompagnateurs.
On ne louera jamais assez la brillante paire rythmique qu' il forme avec le batteur Dannie Richmond. Le pianiste Horace Parlan joue sur la plupart des titres, il apporte une couleur bluesy jouissive à l' orchestre. Des racines blues et gospel qui s' entendent aussi dans le jeu des saxophonistes Jackie McLean, John Handy et Booker Ervin. Le groupe est complété par les deux trombonistes Willie Dennis et Jimmy Kneepper et le baryton Pepper Adams particulièrement mis en valeur dans "Moanin'".
Le disque ne contient que des classiques mais on peut particulièrement remarquer "The Jelly Roll Soul", un titre plein d' humour en hommage à Jelly Roll Morton, un des pionners du Jazz.
Pour découvrir d' autres facettes de l' oeuvre de Mingus, je vous conseille vivement l' écoute du trés beau coffret "Passions of a Man : The Complete Atlantic Recordings 1956-1961".
Outre cet album, on peut y trouver l' excellent "Pithecanthropus Erectus" et une performance tonitruante du groupe de Mingus avec Eric Dolphy au festival d' Antibes.

Extrait audio : "Moanin'" from "Blues & Roots"

Sunday, September 03, 2006

Keith Jarrett : Solo

Le pianiste Keith Jarrett est un des musiciens de Jazz les plus passionnants de ces dernières décennies. Son style introspectif peut évoquer le pianiste Bill Evans qui est un de ses principaux modèles. Mais il a su créer un style tout à fait unique qui brille dans tous ses enregistrements que ce soit en solo, trio ou en quartet. Son jeu est d' un grand dynamisme rythmique conjugué à un goût prononcé pour le décalage mélodique qui apporte complexité à ses impros.
Son toucher de piano si distinctif est directement inspiré par les techniques de la guitare folk.
Le soin de la respiration des notes, si présente dans le Köln Concert, est sans doute aussi influencée par la pratique du saxophone. Cette respiration est obtenue grâce à son contrôle de l' attaque et de la résonance des notes du piano.
En 1971, il enregistre son premier opus solo "Facing You". Il choisit la voie de l' improvisation totale mais à l' opposé du Free Jazz, il n' est que peu tenté par la musique atonale.
Il ouvre un nouvel espace de liberté au sein de la musique tonale. Sa musique est souvent une vibrante ode à la mélodie. Ses performances solos sont l' occasion de communions quasi mystiques avec l' instrument. Il y a une dimension extatique dans l' approche de Jarrett de la musique. On peut entendre souvent sa voix accompagner ses impros, une manière à lui d' exprimer l' état de transe qui l' habite quand il joue.
Quatre ans plus tard, Jarrett va sortir l' album qui va le révéler aux mélomanes du monde entier "The Köln Concert". Un autre opus solo enregistré cette fois en public. Dès les premières minutes, on est séduit par l' espace crée par la mélodie inaugurale. On pourrait s' imaginer un paysage lunaire, un désert. La musique de ce concert est unique et allie constructions mélodiques complexes et longues plages modales.
Sous les doigts de Jarrett, l' improvisation devient méditation, exploration des possibilités de l' instrument et quête de la beauté profonde du son.
Une quête où tous les auditeurs sont conviés !